Devant une situation que rencontrent fréquemment les psychologues et les psychanalystes, à savoir l’oubli/l’absence aux séances notées et la question du paiement plus généralement, la seule réponse économique autour du « manque à gagner » et du « revenu » semble un peu courte.

Peut être, dans des domaines faisant davantage appel à la notion de service rendu, cela peut s’avérer juste, mais, dans le cas de la psychanalyse, la question de l’argent et de son maniement se doit d’être analysée et étudiée.

D’ailleurs, comme le souligne Jean-Bertrand Pontalis dans l’extrait ci-dessous, il n’y a bien qu’au psychologue/analyste que l’on pose cette question latente: pourquoi doit-on payer le psy ?

En ces temps d’incertitudes et de changement (remboursement prochain des psychologues par la Sécurité Sociale, situation sanitaire fluctuante, influence du télétravail et impossibilité de faire valoir son droit à la déconnexion), pourquoi doit-on payer ses séances ? Et ceci, qu’elles soient honorées ou non.

Il me semble que l’examen de cette question ne dépasse pas seulement le psychanalyste dans son cabinet de travail mais traverse tous les champs d’application de la psychologie et leurs diverses orientations; l’on pourrait dire, par extension, les champs du Soin plus généralement.

Il s’agit d’une vaste question que je n’aborde pas ici de manière exhaustive.

En guise de préambule, un extrait du coffret Être Psy contenant 14 DVDs d’interview de psychanalystes sur différents thèmes.

Ici, Jean-Bertrand Pontalis évoque la question de l’argent au sein de l’espace analytique (1983).

Jean-Bertrand PONTALIS

Pourquoi payer ses séances finalement ?

Payer pour être écouté, quelle drôle d’idée.

Voilà la première intention de réponse que l’on pourrait trouver mais, à la réflexion, le fait d’être écouté par un autre a toujours une contrepartie.

Qu’il s’agisse de l’épreuve de la confession ou bien auprès de son entourage, l’on est redevable de cette Parole confiée et ce retour auprès de l’autre doit se faire (et se fera) d’une manière ou d’une autre.

Chez le psychanalyste, cette dette se règle par la question du paiement de la séance. Celui-ci vient ainsi placer le psychanalyste dans la posture du garant d’une Parole donnée/déposée au sein du cabinet.

Mais le patient qui règle sa séance ne rémunère pas seulement le psychanalyste pour le temps que celui-ci lui a consacré et pour cette consigne. Ce geste vient solder une dette symbolique par un acte réel, dans un acte fantasmatique de réparation de la castration auprès de l’Autre.

« Le paiement a pour avantage de moduler la relation analytique, il permet d’inverser cette relation de dépendance ; sous cet aspect c’est l’analyste qui dépend du patient », indique le psychanalyste Alain Gibeault. 

Un des effets collatéraux induit par cette situation est qu’il existe la possibilité d’interrompre le travail à la fin de chaque séance (pour une durée plus ou moins longue, voire définitive) et le paiement de cette dette offre la possibilité de cette libération.

Bien entendu, pour qu’un travail ait un peu de sens, il est préférable que le suivi se poursuive pendant un certain temps, mais il n’y a pas de devoir. C’est la liberté qu’offre le solde de la dette et qui interroge ainsi le patient dans sa demande d’analyse.

Sans demande, quel travail pourrait-on mener ?

Cet équilibre entre demande et possibilité de la mettre en œuvre pour le patient est fragile.

En effet, il est important d’ajuster les honoraires en fonction de différents facteurs, et notamment la capacité de paiement pour l’analysant, tout en gardant l’effet thérapeutique du paiement à sa juste valeur.

Le paiement doit avoir un sens et la question du remboursement des séances pose incidemment cette question : quel engagement pour le patient si celui-ci n’engage pas d’argent, un élément qui revêt une matière symbolique au-delà de son aspect concret ?

La démonstration par l’absurde était l’analyse gratuite pratiquée à raison d’une à deux heures par jour pendant une dizaine d’années par Freud avec des patients pauvres, qui ne donne pas les résultats escomptés. Les résistances des patients lui semblaient décuplées, et l’analyse devenait interminable. 

Cette question de séances gratuites pour le patient mais, finalement, payées par tiers que constitue la Sécurité Sociale est déjà à l’épreuve depuis un certain temps au sein d’institutions publiques que sont les Centres Médico-psychologiques notamment, et le constat de l’assiduité des patients ou de l’engagement n’est pas des plus probant, à mon sens.

Ce paiement doit être assez élevé pour que cela coûte sans pénaliser trop fortement le patient, mais il est également important que la somme retirée par l’analyste ne soit pas en discordance au regard de sa propre situation. Sans quoi, cela peut interroger, comme l’évoque J-B. Pontalis dans la vidéo, sur la posture de sauveur ou du sens que le psychanalyste/psychologue donne à sa pratique en dévalorisant son intervention, ou, au contraire, en pratiquant des honoraires excessifs.

« Le paiement interroge les limites du moi, du narcissisme, du désir, du pouvoir, du temps »

G. Bourdellon et M. Bertrand

Loin de couvrir ici toutes les questions liées au paiement, et qui feront vraisemblablement l’objet d’autres articles, attardons-nous désormais sur l’oubli des séances.

Pourquoi payer les séances manquées ?

Pour cette partie, je m’appuierai notamment sur l’article extrait du site CAIRN ainsi que sur la page d’un site consacré aux sciences humaines dont j’ai déjà cité quelques extraits plus haut.

Dans son article Sur l’engagement du traitement, paru en 1913, Freud évoque les dispositions à prendre en début de cure concernant le temps et l’argent, et mentionne notamment la nécessité de demander le paiement des séances manquées. « Pour ce qui est du temps, je suis exclusivement le principe de la location d’une heure déterminée. Chaque patient se voit attribuer une certaine heure dans la disponibilité de mes journées de travail ; cette heure est la sienne, il en reste redevable, même s’il ne l’utilise pas » (Freud, 1913 c, p. 167).

En effet, plus que dans tout autre domaine, le travail de la psychanalyse induit une relation intime entre le thérapeute et le patient, un étranger qui vient confier des éléments importants de sa vie à un autre, étranger lui aussi.

La nature même des éléments qui sont mis en jeu au sein de l’espace analytique, et en lien avec ce qui a été évoqué précédemment sur la question de la dette, peut amener à la levée des défenses chez le patient. Ces résistances peuvent être de nature diverses et le cadre de l’analyse est la modalité qui permet de travailler malgré, ou avec, ces résistances.

Au sein du paragraphe qu’il consacre ensuite à la justification du bien-fondé de cette mesure, les arguments sont de deux ordres. D’une part, cette règle diminue « les maladies d’écolier », c’est-à-dire un absentéisme de résistance, et favorise ainsi la continuité du traitement, d’autre part, elle protège celui-ci d’une menace : « Quand la pratique est plus souple (non-paiement des séances manquées), les annulations “occasionnelles” sont si fréquentes que le médecin voit son existence matérielle mise en danger » (Freud, ibid.)

Freud avance ici la résistance la plus fréquente, à savoir l’absence au rendez-vous.

La mention de la mise en question de l’existence matérielle revêt un sens, même si cela peut échapper au patient, car si l’analyste disparaît pour cause de « faillite », quid de l’analyse ?

Il existe également un lien entre cet absentéisme anodin en apparence et la survie, sur le plan fantasmatique cette fois, de l’analyste.

En référence à la position sadique-anale du patient et dans la dimension du contrôle de l’espace analytique chez Karl Abraham (aspect du paiement que je n’ai pas abordé dans cet article), l’absence, voire l’oubli de la séance, pourrait être interprétée comme une posture agressive vis-à-vis de l’analyste.

Là encore, seul le cadre peut venir faire barrage à cette agressivité et cette tentative de contrôle du lieu et du thérapeute inscrit dans ce paysage, ce même thérapeute ayant, bien entendu, une représentation auprès du patient. Le contournement de cette résistance permettra de mettre au jour la nature de cette représentation et du sens de cette défense pour le patient.

Lorsque le thérapeute commence une cure, il se prépare, non sans résistance, à y engager une partie de sa psyché, comme on le dit parfois « en location ». Cet engagement repose sur le contre-transfert de base et ce qu’il peut représenter d’investissement psychique à fonds perdus. Mais il a un coût, un risque, et les conseils formulés par Freud à propos du paiement confirment précisément la nécessité pour l’analyste d’engager dans le traitement une part masochique tempérée et désexualisée. En renonçant à des gains d’argent, l’analyste crée un déséquilibre : ce don représente symboliquement une amputation, et le renoncement à une certaine jouissance autoérotique en l’absence de l’objet. Mais la privation d’argent est réelle, le patient tranche dans le vif du cadre. On pourrait dire que par un élément de réalité, l’analyste s’offre masochiquement au patient dans une position sacrificielle, endossant ainsi le mode relationnel de celui-ci à l’objet. Par ailleurs, en modifiant le cadre, il s’affranchit de la règle analytique à laquelle il est soumis. Il s’offre alors à l’instance surmoïque analytique vis-à-vis de laquelle peut se jouer, toujours en transfert par retournement, l’angoisse de castration, la privation d’argent pouvant devenir alors la punition de son manquement à la règle.

Payer une séance manquée, est-ce payer pour rien ?

Dans ce jeu où un patient rémunère un Sujet Supposé-Savoir pour un petit temps, pourquoi ce patient devrait-il payer ce « temps » qu’il n’a pas utilisé ?

Essayons de dépasser la question de politesse, à savoir monopoliser le temps d’un autre avec toutes les répercutions en matière d’emploi du temps que cela représente, et qui voudrait que ce soit la moindre des choses, ce qui n’est pas si courant.

Si l’on pense le travail d’analyse comme une notion de service, effectivement, ne dépassons pas ce plan. Mais si l’on considère que la psychanalyse se veut d’aller plus loin que ça, la question de la valeur même de l’argent pour le patient entre en jeu. A savoir, quelle est la nature symbolique de l’argent pour le patient ?

Mais pour que le cadre puisse s’instaurer, il faut que « ces jeux d’argent » puissent être mis en suspens, suffisamment isolés ou refoulés, ce qui n’est pas toujours le cas. Il peut advenir que le patient accepte les règles qui lui sont proposées, à l’exception par exemple de celle de devoir payer les séances dont il est absent. En général, les entretiens préliminaires permettent, si ce n’est l’éclairage, du moins le contournement de cette posture de refus, sa mise en latence, mais il arrive aussi que celle-ci figure un noyau dur de la conflictualité psychique et de la résistance inconsciente. Alors que s’organise dans la réalité le monnayage de la cure, l’analyste est d’emblée confronté, pour reprendre la métaphore de Freud, au cours d’une autre monnaie psychique.

De la même manière, cette absence peut tenir lieu à interprétation sur le sens qu’elle revêt : même si elle reste une résistance, elle peut avoir une face bénéfique dans la question de l’oubli, c’est-à-dire qu’il peut exister un lieu de jouissance autre que celui de la thérapie, un lieu qui vient faire disparaître (en apparence) le travail analytique pour permettre au patient de se libérer de celui-ci. Peut être que dans de tels cas, cette résistance peut venir signifier la fin d’une analyse, ou bien l’impossibilité pour le patient de s’engager dans un travail.

Il rappelle que si le cadre classique est inutilisable, les modifications accordées ont toujours pour but de préserver les conditions minimales de symbolisation. Comme celle-ci ne s’opère que sur fond d’absence, il s’agit de proposer un cadre qui en soit générateur, et d’aider le sujet à investir positivement un espace vide. La séance manquée en est une des figures possibles. Le refus de l’investissement financier de cette séance par le patient peut signifier le refus de son investissement psychique. Elle devient alors espace ou temps mort au sein duquel l’absence ne s’inscrit pas : aucune symbolisation ne peut avoir lieu.

En guise de conclusion.

Nous avons vu de manière succincte la question du paiement des séances, que celles-ci soient honorées ou oubliées/non-honorées.

Il s’agit d’une question vaste qui peut s’approcher sous de nombreux angles.

Il reste néanmoins le fait que cette question constitue le cadre et la base d’un travail analytique qui se veut professionnel, aussi bien pour le patient que pour l’analyste.

Sans accord sur ce plan, il est vraisemblable, comme l’a expérimenté Freud et la plupart des psychologues, que l’analyse tourne court, ou bien que la mise en question de ce point, plus ou moins permanente en fonction du type de patient, fasse naître, aussi bien dans le transfert que dans le contre-transfert, des éléments de régression et d’agressivité plus ou moins élaborés.

Là encore, dans une période où nous sommes bousculés sur un plan sociétal et individuel, il me semble que, si une forme de Contrat Social ne peut naître dans les échanges et les interactions habituelles, tentons de préserver le cadre de l’analyse de ce tumulte en en faisant une matière à être pensée et non une prolongation du désordre ambiant.

Références pour aller plus loin :

Petit livre humoristique autour du travail en psychanalyse : https://www.psychologue-montpellier.org/lecture-dete/

Émission France Inter sur la question de l’engagement du patient dans son analyse : https://www.psychologue-montpellier.org/quest-ce-quune-psychanalyse/

Le paiement : https://www.scienceshumaines.com/quelle-place-pour-l-argent-en-analyse_fr_32458.html

La paiement (CAIRN) : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2013-1-page-59.htm

DVD ETRE PSY : https://www.editionsmontparnasse.fr/p1211/Etre-psy-Coffret-DVD

Totem et Tabou (CAIRN): https://www.cairn.info/revue-research-in-psychoanalysis-2016-1-page-85a.html

Analyse de la question du paiement : https://www.tupeuxsavoir.fr/publication/la-question-du-paiement/


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